Études de cas

Familles ayant eu un impact significatif sur les industries liées à l'eau

Kohler

Fondée en 1830 par Charles-Amédée Kohler et son frère Frédéric, la Chocolaterie Kohler est l'une des pionnières de l'industrie chocolatière suisse. Fils d'Amédée Kohler, un marchand en denrées coloniales actif à Lausanne depuis 1793, les deux frères installent initialement leur chocolaterie dans un ancien moulin du Petit-Saint-Jean (moulin Bramafan), en contrebas de l'Hôtel de Ville. Charles-Amédée y crée les tout premiers chocolats combinés avec des amandes et des fruits secs, octroyant une large renommée à l'entreprise.

En 1849, Charles-Amédée achète le moulin municipal de Sauvabelin en vue de moderniser la production, et de répondre à une demande croissante. Il utilise alors la force hydraulique du Flon pour broyer les fèves de cacao, optimisant les procédés de fabrication et augmentant sensiblement la production.

En 1865, il transmet l'entreprise à ses fils, Charles-Amédée II et Adolphe qui continuent de la moderniser. En 1887, Amédée-Louis et Jean-Jacques Kohler, fils de Charles-Amédée II, achètent un moulin et un canal, transformant la propriété de Sauvabelin en un centre de production. La scierie y est utilisée comme site de fabrication jusqu'à la construction d'une usine à Echandens, entre 1894 et 1896. Celle-ci permet alors d'augmenter la production jusqu'en 1907, jouant un rôle crucial dans l'expansion de la marque Kohler.

À l'initiative de Jean-Jacques Kohler, la chocolaterie fusionne en 1904 avec l'entreprise Daniel Peter, pionnier du chocolat au lait. Cette fusion donne alors naissance à la Société Générale Suisse de Chocolats Peter et Kohler réunis. Jean-Jacques Kohler initie par la suite des négociations avec Auguste Roussy de Nestlé. Un accord signé en 1904 confie à Peter et Kohler la fabrication du chocolat au lait de marque "Nestlé", limitant Nestlé à la seule usine de Sauvabelin. En 1911, la société est rebaptisée Société Peter, Cailler, Kohler, Chocolats Suisses S. A. (PCK). L'entité se lie finalement à Nestlé en 1929, consolidant sa position dans l'industrie mondiale.

L'utilisation stratégique des moulins, à Sauvabelin puis à Echandens, permet à la Chocolaterie Kohler d'optimiser sa production, assurant sa pérennité et sa renommée. L'histoire de la Chocolaterie Kohler et de ses innovations illustre ainsi l'évolution de l'industrie du chocolat en Suisse, puis de son expansion à l'internationale.

Rochat

Avant même son installation à Lausanne, la famille Rochat a joué un rôle crucial dans le développement industriel de la Vallée de Joux, dès la fin du XVe siècle. Jean Rochat amorce cette expansion via l'exploitation d’un complexe agricole sur la Venoge. Celui-ci comprend des moulins, un abattoir et un pressoir.

Guillaume Rochat et son fils Jean obtiennent en 1514 l'autorisation d'exploiter un cours d'eau allant du moulin du Lieu jusqu'au Lac Brenet. Ils y édifient une forge, un moulin et une scierie. Dès 1524, on retrouve des moulins, des battoirs, des scies et autres martinets de fer. Claude Rochat, fils de Jean, délaisse petit à petit le domaine et ces installations qui sont reprises par d’autres familles en 1526.

Au XIXe siècle, les moulins Rochat sont intégrés au développement urbain de Lausanne. Une gravure de 1852 ci-dessous montre ainsi un moulin Rochat situé sous le Grand-Pont, au lieu-dit "Le Pas des Ânes", sur la rive droite du Flon. Autrefois périphérique, cette installation rejoint le centre de Lausanne alors en pleine extension. En 1874, ce moulin est le premier bâtiment à être détruit lors des travaux de comblement du vallon.

Les Rochat se distinguent également dans diverses autres industries telles l'horlogerie et la microtechnique, participant ici aussi à l'évolution industrielle de la région. Leur modèle économique, fondé sur la participation familiale et l'ancrage socio-géographique, permet une transmission des savoir-faire et du patrimoine en vase clos.

L'histoire de la famille Rochat a été largement impactée par l'industrialisation progressive de la force hydraulique du Flon. D'abord famille d'agriculteurs, ses membres successifs ont tiré profit des voies d’eau environnantes pour moderniser leurs exploitations et se développer. Cette expansion industrielle a conféré aux Rochat une influence socio-politique notable, avec des membres de la famille occupant des rôles tels qu'officiers, magistrats, pasteurs, professeurs, médecins et ingénieurs.

Mercier

Originaire de France, où ils fuient les persécutions anti-protestantes, la famille Mercier a joué un rôle crucial dans le développement du quartier du Flon à Lausanne. En 1740, Jean et Pierre Mercier s'installent à Lausanne et fondent une tannerie en bordure du Flon en 1743, un emplacement stratégique grâce à l'accès à l'eau nécessaire au traitement du cuir. Leur entreprise prospère rapidement, leur apportant fortune et renommée.

La tannerie est dirigée par plusieurs générations de Mercier. Jean-Jacques Mercier, fils de Pierre, continue l'expansion en achetant plusieurs propriétés et en augmentant la capacité de production. En 1832, la tannerie emploie une trentaine d'ouvriers, nombre qui passe à plus d'une centaine en 1848 avec l'introduction de machines à vapeur. Les peaux sont importées d'Autriche et d'Italie et transformées en produits finis à Lausanne, puis vendues en Suisse, en Europe et en Amérique.

Au fil du temps, les Mercier adaptent leur production face à la concurrence internationale. En 1864, ils se spécialisent dans la fabrication des peaux de veaux cirés, qui s'exportent principalement sur le marché américain. Pendant les années 1880, la production annuelle varie entre 110'000 et 200'000 peaux, avec un chiffre d'affaires pouvant dépasser les trois millions, et employant 120 à 190 ouvriers selon les besoins. Les outils de production sont modernisés et des bâtiments sont ajoutés ou agrandis.

Jean-Jacques Mercier III, arrière-petit-fils de Pierre, joue un rôle déterminant. Sous sa direction, la tannerie atteint une renommée internationale. Il diversifie les activités familiales, investissant dans le commerce de denrées et l'immobilier. L'impact le plus significatif de Jean-Jacques Mercier III sur Lausanne fut son rôle dans le développement des infrastructures ferroviaires. En partenariat avec l'entrepreneur Louis Gonin, il amorce la création d'un chemin de fer reliant la gare de Lausanne à Ouchy et passant par le Flon. La ville cède à cette occasion le terrain du Flon à la famille Mercier en échange de leur financement des travaux entre 1874 et 1877. Le projet aboutit à la construction de la gare, du funiculaire d'Ouchy, et de nombreux entrepôts.

Ces infrastructures font alors du Flon la principale gare de marchandises de Lausanne, accélérant la transformation du quartier. La vallée est aplanie et la première rangée d’arches du Grand-Pont est ensevelie, témoignant de l'ampleur des modifications. Malgré son départ à l'étranger en 1886 pour des raisons fiscales, Jean-Jacques Mercier III continue de gérer les affaires familiales et la Compagnie du chemin de fer Lausanne-Ouchy.

En 1898, la famille vend la tannerie, devenue incapable de concurrencer le protectionnisme du marché américain. Les Mercier continuent à investir dans l'immobilier, possédant tous les bâtiments du Flon, le lac de Bret (source d'eau potable et d'énergie pour Lausanne) et le château d'Ouchy. Ils maintiennent parallèlement leur implication dans le chemin de fer. Cette diversification permet à la famille de laisser une empreinte durable sur l'infrastructure et l'économie de Lausanne.

Bibliographie

Kohler


Rochat

  • Rochat Loïc et Jean-Pierre Bastian, Les Rochat: de la famille comtoise à la tribu vaudoise, L’Abbaye, Association de la famille Rochat, 2022.

  • Rochat Rémy, Notice historique sur la famille Rochat: publiée à l’occasion du 500e anniversaire de l’arrivée de Vinet Rochat et de ses trois fils en Suisse ..., Lieu de publication non identifié, éditeur non identifié, 1980.

  • Rochaz Eugène, Ma famille: 1940 environ, Les Charbonnières, Le Pèlerin, coll. "Etudes et documents no 31", 2000.

  • Rochaz Eugène, Ma famille: 1930 à 1940 environ, Les Charbonnières, Le Pèlerin, coll. "Etudes et documents", 1987.


Mercier


Transversal

  • Barblan Marc-Antonio et Association pour le patrimoine industriel, Il était une fois l’industrie: Zurich - Suisse romande : paysages retravaillés : quelques exemples d’occupation industrielle du territoire, Genève, Association pour le patrimoine industriel, coll. "Patrimoine industriel de la Suisse", 1984.